Avis sur le livre : Crève, mon amour
En de courts chapitres nourris par une écriture à la hache, Harwicz brosse le portrait d’une maternité vampirisante, qui donne sens à l’existence de sa narratrice autant qu’elle la contraint. Symbole de cette sclérose : la maison familiale aux airs de sarcophage, où l’essentiel du drame se joue, et sa baie vitrée, mur infranchissable entre la mère et le monde. Tout le talent de la romancière consiste à mettre au jour la part de bestialité d’un personnage qui, à défaut d’une identité propre (nom, travail, origines…), se voit réduit à de simples instincts. Qu’elle évoque la liaison adultère de sa protagoniste, en manque de sexe, ou ses escapades dans la forêt avoisinante, et c’est toute l’animalité de cet être qu’elle fait surgir avec éclat, dans une prose hypnotisante où se brouillent réalisme et fantasmagorie. Davantage que le récit d’une maternité troublée, Ariana Harwicz signe ici le roman cathartique d’un douloureux accouchement de soi.
Ariane Singer, Le Monde