La Tendre Albion
Martin Parr, en tant que photographe, a beaucoup voyagé. Pourtant, où qu'il se trouve, c'est l'Angleterre qu'il photographie. Il est loin d'être insensible aux autres cultures (Parr n'a rien du " Little Englander ") mais il regarde ce monde avec une sensibilité toute anglaise. Il a l'œil anglais, à la fois affectueux, satirique et amusé, aussi net que le pli d'un pantalon de Saville Row. Parr a la réputation d'être plein d'humour, ce qui n'est en rien synonyme de légèreté. Les humoristes anglais manient l'humour comme une arme. Le comique marque une angoisse existentielle. Nous grimaçons autant que nous sourions face à ses images. A l'instar des meilleurs humoristes, Martin Parr flirte, parfois dangereusement, avec le stéréotype pour atteindre son but. Et ce but est généralement très sérieux. Ca pique et ça fouette le sang. La Tendre Albion... le titre parle de lui même. Parr décrit une Angleterre telle qu'on l'imagine. L'Angleterre des robes à fleurs, des pelouses et du kitsch balnéaire. La parfaite vision touristique de l'Angleterre. L'Angleterre petite bourgeoise, circonspecte et vieillotte, ou sa version ouvrière déridée avec au moins un pied dans le passé. On cherchera en vain ici des ciels pluvieux, des tensions urbaines, une campagne génétiquement modifiée ou une Angleterre impitoyablement commerciale ou encore offrant un melting-pot culturel comme on en trouve aux Etats-Unis. Certes, l'Angleterre de Parr est une fiction, une idée de l'Angleterre. Martin Parr, artiste contemporain, fait ici une critique de la représentation. Rien de tout cela n'est vrai, n'est-ce pas ? C'est si coloré ! On associe pas facilement les couleurs vives avec l'Angleterre, excepté sur les boîtes de chocolat ou les affiches de l'office du tourisme anglais justement ! L'idée de l'Angleterre émane de la société anglaise elle-même. Une fois distillée, cette idée réintègre la société en lui donnant sa forme. Le cliché devient partie intégrante d'une vérité plus vaste ; il appartient à la scène contemporaine et n'est pas un simple décalage nostalgique. Martin Parr soumet les clichés de l'Angleterre à son propre regard pénétrant, il les collectionne et les empile comme il le ferait de poupées russes, afin de nous offrir le plaisir de les découvrir. Toutefois, n'oublions pas qu'il a observé toutes ces choses (chaque robe à fleurs, chaque gâteau rose bonbon), même si c'est avec un œil acéré, d'une précision chirurgicale. La photographie est un art superficiel au sens strict : elle s'attache à montrer la surface des choses. Mais, dans les mains de quelqu'un comme Martin Parr, si attentif aux nuances de surface (l'aspect des choses, la face visible de la société), c'est bien davantage qu'une vision " superficielle " qu'il nous est donné de partager.