Louve basse
J'ai commencé d'écrire Louve basse fin 72, quelques mois après un premier texte en prose, Artaud refait, tous refaits !, en grande partie fabriqué au magnétophone - et le seul à se retrouver ici non retravaillé. J'annonçai en même temps, en publiant Le mécrit, la fin d'une démonstration appliquée jusqu'alors à la seule pratique poétique : à savoir que la poésie était une lande pelée où le langage ne soufflait plus qu'à "mots couverts", que ses différents fermiers s'y gelaient le cul, que les rats se mettaient à y pisser partout. Pendant deux ans, je publiai divers morceaux de Louve basse, comptant su l'événement pour faire "prendre" le discours, mordant sur la tranche d'angoisse qu'on tient généralement à distance, assemblant en moi comme une figure furieuse de chien et occupé à déterrer peu à peu l'objet d'un plus fort désir : un os à ronger "toujours", mon os de mort sur quoi je m'excitai à fond. Je lus beaucoup, visitant des cimetières et accumulant comme un chien - ce dont la louve n'est que l'avatar déplacé et asymbolique. J'examinai, aussi, de façon obscène, la littérature (Louve basse, dans son projet initial, devait s'appeler La femme et la prose), repensant vaguement au Cymbalum mundi qu'on avait brûlé en place publique parce que Bonaventure Des Périers y faisait tenir des propos philosophiques par des chiens. En fin de compte, rien ne me parut vraiment irréductible à la vocifération humaine généralisée, par quoi la Mort ne cessait de m'asticoter, et l'écriture de m'envahir. Au printemps 74, d'accord avec le Jésuite Spiegel qui disait que les "fesses ont été données à l'homme pour qu'étant commodément assis, il puisse se livrer à son aise à l'étude des choses divines", Je disposai autour de ma machine à écrire les 4 à 500 feuillets de ce que j'appelais mon "ensemble rongeur" et j'y allai une dernière fois, dans une langue de vent violent où j'eus beaucoup de peine à ne pas être tué, agité d'un vaste désespoir de danse, de musique et de nudité.