Comme si c'était moi
Ni dans sa construction, ni dans son contenu, ce livre ne ressemble à des « Mémoires d'acteur » ou à une de ces autobiographies prématurées que commettent parfois les gens en vue. C'est un texte déroutant dans sa construction, surprenant dans son style et captivant par sa tonalité général. On pourrait dire que cette tonalité-là évoque quelque chose comme une colère généreuse, une passion brûlante. Le tout étant habité par une drôlerie à mille lieues du narcissisme. C'est la personnalité d'un homme qui se révèle ; personnalité peu ordinaire – même dans le monde du spectacle – et qui n'est pas étrangère à la popularité spécifique de Torreton, notamment auprès des jeunes.
Plus concrètement, ce texte ne respecte pas stricto sensu la chronologie, bien qu'on y revienne régulièrement, et de manière fort claire. Il est aussi fait de « collages » : bribes du journal tenu par l'acteur dans les années 90, fragments de poèmes, etc. Malgré cette « a-chronologie », le livre raconte une histoire : celle d'un gamin des HLM de Grand-Quevilly (banlieue de Rouen), fils d'une institutrice socialiste, devenu pour un temps pensionnaire de la Comédie française avant d'incarner un des acteurs de cinéma les plus prometteurs d'aujourd'hui. Un étincelant monologue de l'acteur Philippe Torreton, de la Comédie française, sur son métier, son enfance, le théâtre, la folie heureuse de la scène. Et sur la vie qui va. Où l'on découvre qu'un acteur peut avoir – ou se découvrir – un vrai talent d'écriture. On trouvera dans ce petit livre très personnel mais jamais narcissique des pages magnifiques sur la banlieue de Rouen, la relégation des « classes populaires », la relation à la culture. On y trouvera aussi quelques purs et magnifiques récits (scènes en Roumanie ou à Moscou) qui font de ce texte bien autre chose qu'un livre sur le théâtre ou le cinéma. Enfant des banlieues, Philippe Torreton se destinait au départ au concours… d'inspecteur de police ! Comédien amateur, il présente néanmoins le concours du Conservatoire d'art dramatique de Paris où il est reçu. Il s'y révèle comme un acteur très doué et sa passion pour le théâtre l'emporte. Sur les conseils de son professeur Daniel Mesguisch, il entre à la Comédie française. (Il raconte, dans le livre, sa stupéfaction éblouie d'alors, et aussi la façon dont, huit ans plus tard, il claquera la porte de cette vénérable institution. Au cinéma, sa première apparition a pour cadre, en 1991, le film de Claude Pinoteau, La Neige et le feu. Alors qu'il jouait au théâtre Le Malade imaginaire, il avait été repéré par le réalisateur Bertrand Tavernier qui, en 1992, lui offre un rôle dans L 627 (polar-vérité sur la drogue). Il retrouvera Tavernier en 1995 pour le film L'Appât et surtout Capitaine Conan, film sur la première guerre mondiale où Torreton tient le rôle-titre. Il obtiendra, pour ce rôle, le César du meilleur acteur.
Toujours pour Tavernier, et tout en poursuivant une importante carrière théâtrale, il incarnera un courageux instituteur dans Ca commence aujourd'hui (1999), film très apprécié de la presse et ayant pour cadre une petite école communale du nord de la France. Il jouera également, aux côtés de Charlotte Gainsbourg, dans Félix et Lola de Patrice Leconte, puis dans Monsieur N. d'Antoine de Caunes, où il incarnera Napoléon Bonaparte dans ses dernières années. Au-delà du déroulé de cette carrière, Torreton est devenu – et reste – un personnage atypique du cinéma français. Il représente une certaine façon de vivre, une certaine « rage de vivre » que l'on retrouve tout entière dans les pages de son livre. Un gosse des banlieues devenu acteur. Le monologue d'un acteur-culte. Une passion pour la scène et le cinéma. Une certaine façon de dire que « tout est possible » à qui le veut vraiment.