La Solitude des nombres premiers
Les nombres premiers, " soupçonneux et solitaires ", ne sont pas comme les autres ; quant aux nombres premiers jumeaux, qui ne diffèrent que de deux, ils sont encore plus particuliers car, bien que très proches, ils ne parviennent jamais à se toucher. Et justement, la vie d'Alice et Mattia s'écoule comme celle de deux nombres premiers jumeaux : isolés et perdus, ils se cherchent, s'effleurent, mais il y a toujours un nombre pair qui les sépare.
Ils sont différents des autres enfants de leur âge car la vie leur a joué un sale tour : chacun a subi dans son enfance un choc terrible dont les conséquences sont irréversibles. Alice boitera toute sa vie suite à un accident de ski et Matteo ne se remettra jamais d'avoir perdu dans un parc sa soeur attardée.
Tous deux savent pertinemment, dès leur première rencontre, qu'ils pourraient faire éclater la bulle de douleur et de silence dans laquelle l'autre est enfermé, mais leur amitié est bancale et asymétrique, composée de longues absences et de non-dits, de retrouvailles et de fuite.
Elle, anorexique et affamée d'amour, lui, solidement protégé par son dévouement absolu aux mathématiques pures, ne sont décidément pas faits pour construire un avenir commun. Paolo Giordano scrute ses personnages, analysant sentiments et émotions avec un mélange de délicatesse et de réalisme féroce.
La structure fragmentée (on assiste seulement à certaines phases de la vie des deux protagonistes) permet une alternance de scènes très dures, d'une tension incroyable, et de moments de grande émotion, de tendresse et même d'espoir. L'art de l'ellipse et le dépouillement du style sont d'une efficacité remarquable.