Van Gogh ou l'enterrement dans les blés
Le livre de Viviane Forrester sur Van Gogh m'avait beaucoup marqué à sa sortie. C'est le premier titre qui m'est venu en tête lorsque s'est posé la question d'une réédition dans le cadre des 40 ans de Fiction & Cie.
Pourquoi ce livre m'a marqué ? Parce qu'il est habité par une passion, et par une érudition généreuse.
Au centre de ce parcours dans la vie et dans l'oeuvre du peintre génial, « suicidé de la société » selon la formule d'Antonin Artaud, il y a un fait biographique précis et lourd de conséquences : Vincent Van Gogh est né le 30 mars 1853, soit un an jour pour jour après son frère portant le même prénom, mort-né le 30 mars 1852. D'où, chez lui, le sentiment tenace et obsessionnel d'usurper la vie d'un autre, cet aîné qui le hante comme un fantôme. Quand il part à l'aventure et abandonne le domicile paternel, il a ces mots : « L'assassin a quitté la maison ».
Génie méconnu, entretenant une relation passionnelle avec son autre frère Théo, amant éperdu d'une vie qu'il ne sait pas vivre, massacré, écorché, déserté par tous, Vincent Van Gogh crée une oeuvre énorme. Il meurt le 29 juillet 1890 à Auvers-sur-Oise, à l'âge de trente-huit ans.
« Je le vois encore sur son lit étroit dans la petite mansarde, torturé par une douleur terrible. "N'y a-t-il personne pour m'ouvrir le ventre ?" Il faisait une chaleur étouffante dans la chambre, sous le toit. » Et il n'y avait personne...
Au matin, avant l'arrivée de son frère Théo, une dernière visite : celle de deux gendarmes. Plantés au pied du lit, courroucés, ils interrogent l'agonisant : pourquoi s'est-il suicidé ? D'où tenait-il son arme ? Vincent fume sa pipe, adossé contre les oreillers. Il répond, la voix calme, avoir agi comme il en était libre ; les autres insistent, s'acharnent. Vincent regarde en silence, droit devant lui, ignorant les représentants de cette autorité à laquelle il échappe enfin.