Lettres (1904-1937)
Cette correspondance de 79 lettres, dont 23 de Freud et 56 de Bleuler, s'étire sur 33ans. Elle met au premier plan la relation installée entre deux hommes droits passionnés. Relation mal connue, plus étroite et vive que ce que l'on en savait par les biographies, avec des dissensions graves, mais sans rupture. Bleuler est le premier psychiatre universitaire à prendre au sérieux les thèses freudiennes, en les important dans la théorie et dans la pratique psychiatrique au Burghölzi, clinique psychiatrique universitaire de Zürich qu'il dirige et où il forme et formera de futurs psychanalystes - Carl G. Jung, Max Eitingon, Karl Abraham, Abraham Brill - et des psychiatres bientôt célèbres comme Ludwig Binswanger.
À mesure que leur relation se développe, Bleuler tente de faire une « psychanalyse » par lettres avec Freud, non sans résistance : il croit à l'expérimentation, veut des preuves, ne parvient pas du tout à comprendre ses rêves, n'aime guère la sexualité, surtout inconsciente, il est défenseur avec sa femme des ligues antialcooliques et quelque peu partisan de l'eugénisme, à la suite de son maître Forel. Rien ne le prédispose à suivre la discipline freudienne, sinon son honnêteté intellectuelle et une vocation de soignant. Freud, de son côté, souhaite introduire la psychanalyse dans le champ de la psychiatrie, et parallèlement la sortir du milieu viennois et du milieu juif, où elle court le risque d'être ostracisée.
Zurich deviendra le centre mondial de la psychanalyse, à la fois universitaire et clinique, jusqu'à la rupture avec Jung en 1913.
À l'arrière-plan de ces lettres se déroule l'histoire du mouvement analytique : création de l'Association psychanalytique internationale, dissension avec Jung, séparation de Freud avec l'école dite de Zürich.