La Cheffe, roman d'une cuisinière
Le narrateur, cuisinier, raconte la vie et la carrière de la Cheffe, une cuisinière installée à Bordeaux qui a connu une période de gloire, et dont il a longtemps été l'assistant - et l'amoureux sans retour.
Née dans une famille d'ouvriers agricoles, cette adolescente ascétique et déterminée devient employée de maison très jeune. Elle va découvrir l'art culinaire en préparant les repas pour ses premiers employeurs. Dès le premier dîner, elle met en oeuvre ce qui sera la base de sa gastronomie future : sécheresse, sévérité, simplicité.
Quelque temps plus tard, elle ouvre un restaurant, La Bonne Heure, où le tout-Bordeaux se presse. Dès son embauche, le narrateur se dévoue corps et âme à sa patronne. Il deviendra au fil des années son confident et ami, mais jamais son amant. La vie de la Cheffe, entièrement vouée à l'invention culinaire, semble parfaitement réglée. Son malheur vient de sa fille unique, un concentré d'aigreur, de rancune et de frivolité. Après avoir suivi des études de commerce, la jeune fille fait main basse sur le restaurant de sa mère, qui n'oppose aucune résistance. Elle y applique des règles de marketing absurdes, contrevenant à l'esprit janséniste originel, et le restaurant se voit retirer son étoile. La cuisinière met alors la clef sous la porte et disparaît, laissant le narrateur anéanti. Cependant la Cheffe n'en a pas fini avec la vie ni avec la cuisine...
Les phrases de Marie NDiaye se déploient lentement, comme pour envelopper le lecteur avec un charme constricteur. Les replis de l'âme de chaque personnage sont explorés sans hâte, et c'est sans doute ce qui fascine le plus : cette détermination calme dans la volonté de dissoudre la pénombre des êtres, auscultés sans malveillance et sans pitié. Il se dégage du récit une humanité violente, claire, à la fois mélancolique et enviable. La cuisine, qui est au centre du récit, est vécue comme une aventure spirituelle, presque un état de la sainteté. Non que le plaisir et le corps en soient absents, au contraire : mais ils sont les instruments d'un voyage vers un au-delà - la Cheffe allant toujours plus loin dans sa quête d'épure. L'émotion grandit au fur et à mesure de la lecture, jusqu'à la dernière ligne.