La Postérité du soleil
La Postérité du soleil est née de l'amitié qui lia après la Libération Albert Camus et René Char. La correspondance des deux écrivains fait plusieurs fois allusion à ce projet de « livre sur le Vaucluse » – cette chère terre du Midi, baignée par « la lumière de vérité » où prit source la poésie de Char –, qui serait la trace fidèle de leur fraternité. Ils en escomptaient une « joie durable ». Mais le livre ne put paraître du vivant de Camus, bien que le manuscrit en fût prêt au début des années 1950, après que Char y eut apporté son « luttant et respirant » poème d'ouverture. Les fragments poétiques de Camus y accompagnaient et transfiguraient les photographies d'Henriette Grindat (1923-1986), artiste suisse amie de plusieurs écrivains français et romands, venue rencontrer Char à L'Isle-sur-la-Sorgue, dans le but de donner un visage à « cette arrière pays qui est à l'image du nôtre, invisible à autrui » (Char).
La mort tragique de Camus vint redonner vie à ce projet. Char fit qu'il vît enfin le jour et rendît ainsi hommage à son ami disparu, reprenant ça et là son texte et le faisant suivre de quelques souvenirs. Le galeriste et éditeur suisse Edwin Engleberts en donna en 1965 l'édition originale, monumental ouvrage de bibliophilie contemporaine tiré à 120 exemplaires. Cette publication à titre partiellement posthume conférait à l'oeuvre commune sa valeur testimoniale. Car la « postérité du soleil », c'était bien sûr la trace laissée par le souvenir lumineux d'une amitié, comme l'avaient envisagé les deux auteurs ; c'était aussi, au-delà de l'attachement commun à une même terre, le point de rencontre de la pensée de Char et de Camus, cette idée que, le soleil disparu, la lumière est encore possible et l'espoir, malgré la vie éteinte : « Demain, oui, dans cette vallée heureuse, nous trouverons l'audace de mourir contents ! » (Camus). Hommes et paysages, révélés par la photographie et l'écriture, révélaient à leur tour à Char ces moments de grâce de son passé récent.
Et qu'était-ce enfin que la photographie, sinon la postérité même du soleil, la fixation précaire mais salutaire d'un éblouissement ? « Comment montrer, écrivait Char dans son poème d'ouverture, sans les trahir les choses simples, données entre le crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beauté. »
Cette réédition en grand format permet de découvrir un texte oublié d'Albert Camus, relevant d'une écriture poétique et fragmentaire peu courante sous sa plume.