Œuvres complètes I, II
Il est des dates insolentes qui ont des éclats d'orage. La publication des écrits de Julien Gracq dans la Pléiade en est une. oeuvre hautaine et solitaire, elle est celle d'un navigateur des grandes profondeurs, d'un rêveur aux yeux noyés d'eau. Gracq s'est expliqué sur cette dérive vers des lieux singuliers où pousse « la plante humaine ».
« Zone hautement dangereuse, zone de haute tension », tels sont les bois d'Argol ou les roselières des Syrtes, avec leur air rare, « chargé d'une pureté mortelle », crépitant comme « un boulier de cristal », leurs places fortes clôturées de forêt et de mer, leur silence de « planète dévastée ». Mais, au seuil de ces zones qu'il faudra investir par effraction, le regard de Gracq est un regard de ravage. [...]
Dans cette géographie remarquablement maîtrisée des romans, des poèmes, des essais, c'est la même carte livrant ses lisières et ses lignes de passage : une « fraîcheur aux tempes », un pressentiment qui affole les boussoles, un « chemin de foudre », un silence « douceâtre de prairie d'asphodèles », un bois dormant « que l'air léger des rêves infuse d'un bleu d'encens ». Oeuvre de la patience, du secret et de l'écart, elle a l'étrange beauté des oeuvres à jamais « battantes comme des portes ».