La lanterne d'Aristote
« Quand elle est sortie, vers neuf heures, Azélie m'a confié la garde du château. Alors j'ai de nouveau entendu en moi la voix qui s'était tue - voix sombre, altière -, mais je n'ai pas compris ce qu'elle disait, car au même instant le démarreur de la 4L s'étranglait, le moteur vocalisait, les pneus broyaient le gravier, traçant de leur compas un cercle dont je figurais le centre et dont le rayon, englobant la bâtisse, contournant les tilleuls, s'étira jusqu'à la grille au bout de l'allée avant de s'estomper dans le néant. La nuit est retombée autour de moi avec un grincement de herse. Je n'ai pas voulu allumer les lampes, pour ne pas effaroucher les ombres. Je suis passé de pièce en pièce, tel un fantôme qui secoue ses voiles, mais c'était la lune, à travers les fenêtres, qui déroulait sous mes pas un tapis de soie, de silence et d'argent. » Une comtesse charge un homme de cataloguer la bibliothèque de son château. Cet homme traverse les nuits et les jours du domaine, franchit les apparences, lit tous les livres, même ceux qui ne sont pas écrits et dont il invente l'intrigue, à mesure qu'il découvre que les morts ne sont pas morts, ni les fantômes ceux qu'on croyait, ni les vérités celles qu'on admettait. En fin de compte, c'est de la littérature elle-même qu'il s'agit, et à laquelle il est rendu ici le plus beau des hommages.