Mélo
Le roman s'ouvre sur la découverte du cadavre d'un homme qui vient de se suicider la veille du 1er mai 2013, et qui git au volant de sa Xantia garée devant l'entrée d'une fourrière, non loin de l'usine d'incinération de Saint-Ouen.
Par bribes, on reconstitue l'existence de ce quadra célibataire, sa routine de permanent syndical, sa solitude de provincial déraciné, son syndrome d'échec sentimental. Une tragédie ordinaire sous ses airs de roman noir, qui s'égrène selon le compte à rebours d'une mort annoncée, aux confins d'une friche industrielle.
Dans un deuxième temps, on fait la connaissance d'un éboueur-rippeur natif de Brazzaville, en tournée avec son camion poubelle dans le Xe arrondissement. On ne tarde pas à découvrir l'identité secrète de ce nettoyeur municipal qui s'apprête cette même nuit à participer à un concours de Sape, sous le nom de « Parfait de Paris ».
Dès lors commence l'autoportrait d'un personnage en totale métamorphose, dont on suit le moindre préparatif vestimentaire avant de l'accompagner dans une folle soirée qui le consacrera l'homme le plus élégant de Paris. La dernière partie met en scène Barbara, jeune Chinoise campée sur ses rollers qui vend, au détour de la Porte Saint-Denis, mini ventilateurs et autres gadgets.
On la suit au ras du bitume, dans sa tournée sportive et fort lucrative : sous le masque d'une petite vendeuse à la sauvette au français approximatif se cache une brillante étudiante en master « force de ventes », qui met en application dans ce job provisoire les techniques de son école de commerce.
Mais la fragilité du personnage se laisse peu à peu percevoir : pas facile pour elle d'assumer son homosexualité, surtout quand on aime une fille des beaux quartiers. Ces destins parallèles ont aussi des liens directs et symboliques : Parfait de Paris est un des rares amis du suicidé, et il chérit par-dessus tout l'image projetée par le briquet que lui a vendu la petite Chinoise. Le Suicidé / le Sapeur /la Vendeuse : trois figures d'une invisibilité sociale qui échappe même aux plus naturalistes des romanciers d'aujourd'hui.
Avec sa langue incarnée, inventive et généreuse, Frédéric Ciriez s'impose comme un témoin de l'infra quotidien, des antihéros qui peuplent les angles morts de notre réalité.