Tous les jeunes gens tristes
Quelques semaines après la sortie de Gatsby le magnifique, Francis Scott Fitzgerald entreprend de rassembler les neuf nouvelles qui constituent ce recueil. Il semble qu'il ait voulu rassembler le meilleur de ses nouvelles récemment composées, un choix susceptible de conforter la légitimité de son ambition artistique, quelques mois après la parution de Gatsby, roman dont il était persuadé qu'il assurerait sa gloire littéraire. Les thèmes qu'il aborde alors ne sont pas nouveaux dans son oeuvre : les problèmes de couple, le jeune homme pauvre et la jeune fille riche, la construction de la personnalité, les rapports entre l'argent et l'amour. Mais les choses ont sensiblement changé depuis Garçonnes et philosophe et Contes de l'âge du jazz. La coquette épouse frivole, la vamp ne règnent plus sur la scène mondaine et domestique du théâtre fitzgeraldien. Dans le couple constitué ou en voie de formation, c'est l'homme désormais qui détient le pouvoir et détermine le cours des choses. Quand aux femmes fatales, les irrésistibles et cruelles séductrices, elles se révèlent assez faciles à apprivoiser, ou bien comme Judy Jones, la « frêle poupée en émail » de la nouvelle « Rêve d'hiver », vouées à un destin pitoyable. Si le personnage masculin - soupirant, mari, père - concentre l'attention complice de l'auteur, ce n'est pas parce qu'il possède des qualités héroïques particulières ou rares. Sa supériorité morale réside dans la mise en oeuvre de vertus simples mais immédiatement efficaces : la candeur, la sincérité du sentiment, l'imagination créatrice, le bon sens, la lucidité devant l'échec, la bonté, la fidélité. Dans les histoires de ce recueil, ces attributs suffisent à venir à bout, sans violence, des égoïsmes les plus ravageurs des jolies jeunes femmes ou des duretés du sort.