Correspondance: (1954-1968)
Cette correspondance rapproche deux hommes, deux écrivains, et aussi deux lecteurs, bien qu'ils ne fussent ni de la même langue ni du même monde ni du même âge. Leur voisinage, leur rencontre n'a en fait rien pour surprendre. L'échange entre René Char et Paul Celan semble aller de soi et apparaît d'emblée sous un jour des plus prometteur. Il laisse augurer d'une certaine égalité des voix, d'un dialogue nourri d'expériences comparables : celui du poète du maquis de Provence avec le poète juif d'Europe orientale qui, contrairement à ses parents ne connaîtra que les camps de travail roumains et réchappera à la machine d'extermination nazie.
Tous deux connurent, jeunes, la clandestinité, la disparition de proches, le sentiment de l'imminence de la mort, la haine absolue des politiques mortifères. Tous deux ont écrit et pensé dans des situations extrêmes. Les poèmes de Celan nés dans les camps, qui constituent le socle de toute son écriture, sont encore, quand s'ébauchent leurs échanges, quasiment inconnus en France. Char et Celan ont trempé pour toujours leur parole dans ce vécu. Une parole qui devait assumer sa part obscure, issue des méandres et des gouffres du siècle. L'obscurité de leur dire résulte de la coagulation et de l'élaboration d'expériences limites, d'un passage par l'abîme et non d'un hermétisme délibéré, au sens d'un cryptage volontaire de quelque chose de préalablement clair, destiné à on ne sait quels initiés.
C'est à travers le filtre ou l'optique des événements vécus, que les deux poètes mettent à l'épreuve leurs lectures, s'approprient ce qu'il leur faut pour situer leur propre voix tôt fondée en nécessité.