Correspondance: (1902-1913)
Lorsque Rainer Maria Rilke naît à Prague en 1875, Rodin a déjà 35 ans. Fort de ses premiers succès, il est en passe de s'imposer, en quelques décennies, comme l'un des sculpteurs les plus talentueux et innovants de son époque. De son côté, le jeune Rilke se destine tôt à l'écriture, et publie dès 1896 ses premiers recueils de poèmes.
Peu après avoir découvert l'oeuvre de Rodin, notamment grâce à son épouse, la sculptrice Clara Westhoff, il reçoit la commande d'un livre sur l'artiste et se rend à Paris pour le rencontrer. Pour la première fois rassemblée, cette correspondance retrace, de 1902 à 1913, la relation entre deux hommes a priori dissemblables : le jeune poète désargenté maîtrisant mal la langue française et le sculpteur au faîte de son art et de sa gloire, à la tête d'une véritable entreprise chargée de la diffusion de son oeuvre. Rilke donne du « Maître » à Rodin et analyse son oeuvre dans de longues lettres, tandis que les réponses du sculpteur sont lapidaires, sans pourtant dissimuler son affection pour le jeune poète. De 1905 à 1906, Rodin engage Rilke comme secrétaire et l'héberge à Meudon. Une brouille survient, puis se dissipe. Ils renoueront des rapports soutenus entre 1908 et 1911, à l'Hôtel Biron, futur Musée Rodin, que Clara Westhoff fait découvrir au sculpteur. Le poète a beaucoup publié, il est célèbre - ils sont désormais sur un pied d'égalité. Considéré en Allemagne comme le « gardien à la porte rodinienne », Rilke affirme par ailleurs que c'est grâce à Rodin que Paris sera longtemps le seul point d'attache dans sa vie de déraciné.
Cette correspondance dessine précisément un échange, à la croisée des générations, des disciplines artistiques, des langues et des cultures, entre deux personnalités hors du commun, et témoigne d'un cosmopolitisme remarquable et, avant l'heure, d'un véritable esprit européen.
Hugo Hengl est traducteur et enseignant à l'Université Clermont Auvergne. Il a publié en 2018 Pessoa et Rilke. Modernisme et poétiques acroamatiques (Garnier).