Pedro Paramo
Juan Preciado arrive au village de Comala à la recherche de son père inconnu. Pedro Páramo. Pour accompagner ce Télémaque nu-pieds dans sa contre-odyssée, nous devons traverser avec lui une rivière de poussière. L'autre rive est celle de la mort, où règne un cadavre qui fut maître de toutes les vies : le cacique Pedro Páramo, Ulysse de pierre et d'argile, immobile et impuni, entouré d'une cour de rumeurs et de spectres : la mère et amante Doloritas, Jocaste-Eurydice qui conduit le fils et amant, Oedipe-Orphée, sur les chemins de l'enfer ; Susana San Juan, Electre à l'envers ; les vieilles virgiliennes - Eduwiges, Damiana, la Cuarraca -, fantômes de fantômes, fantômes qui contemplent leurs propres fantômes ; les couples de frères édéniques et adamiques qui dorment ensemble dans la boue de la création pour recommencer le genre humain dans le désert de Comala... Juan Rulfo accroche à l'arbre sec et nu de la révolution mexicaine quelques fruits d'un sombre éclat : fruits doubles, fruits gémeaux auxquels il faut goûter si l'on veut vivre, tout en sachant qu'ils contiennent les sucs de la mort. Car cette histoire d'un cacique, de ses femmes, de ses tueurs et de ses victimes se situe dans le territoire privilégié du surréalisme : cet espace de l'esprit où, selon André Breton, la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, cessent d'être perçus comme contradictoires.