François Nourissier, coffret 6 volumes

Auteur : François Nourissier
Editeur : Gallimard

Livre 1 : Un petit bourgeois
Biographie ou roman, l'essentiel (au moins à mon sens) est d'abord affaire de langage, et aujourd'hui qu'on méprise si fort la prose, ce qui s'appelle la prose, il me plait qu'un de mes cadets, arrivant à maturité, aux lecteurs qui parcourent les livres sans les couper donne d'abord cette leçon de français contemporain, dont il n'y a point de chaire dans nos écoles. Il y a très longtemps qu'on n'a pas écrit ainsi, je veux dire avec cette jeune maîtrise de la phrase, qui fait penser qu'il en va de celle-ci comme des femmes, jamais si belles qu'en négligé. (Aragon, 1964)

En 1961, j'étais grand lecteur depuis vingt bonnes années. Une évidence s'imposa: les livres abrupts, secrets, qui nourrissaient en moi le plus d'énergie et de rêves, me constituaient aussi une famille: Montaigne, Rousseau, Constant, Michel Leiris. Les hors-la-loi de la première personne, les innocents de l'aveu. Ma résolution fut vite prise : occuper ma place, fût-elle modeste, dans cette histoire d'amour et de vacherie que l'autobiographie mène avec soi-même et avec le style, l'allure qu'exige le genre. Un petit bourgeois (1963) fut le premier d'une suite d'ouvrages qui en comptera - Dieu dispose... - sept ou huit le jour de mon départ. (F. N., 2002)

Livre 2 : Lettre à mon chien
Polka, chienne teckel née en 1966, a frappé François Nourissier de ce qui pouvait apparaître comme une maladie du sentiment. D'où quelques questions, et cette lettre, ouverte mais sans réponse, qu'il adresse en 1975 à sa diabolique petite compagne. Exerçant son pouvoir de jour comme de nuit, l'obligeant à sortir ou l'en empêchant, dormant à son côté ou l'empêchant de dormir, lui créant des remords, des peurs, des servitudes, Polka va imposer à son « maître » l'amour absolu, le repliement sur soi, un certain silence et un regard de plus en plus critique sur le monde extérieur. Neuf années durant, elle est mêlée au travail de l'écrivain, à ses réflexions, autant qu'à son emploi du temps. Elle lui réapprend à oser montrer, en public - Polka vivant surtout dans ses bras - la force et la douceur de son amour.
Lettre à mon chien occupe une place à part dans les confidences autobiographiques de Nourissier dont ce livre reste pourtant inséparable.
Quelques mois après la parution de ce livre, Polka mourait, un soir de décembre, dans les bras de son compagnon.

Livre 3 : Le musée de l'homme
Un coup de soleil et de vent balaie la place du Trocadéro. Les pensées de Paul Valéry brillent en lettres d'or au fronton d'un palais républicain; plus bas, trois mots claquent sur la pierre et m'offrent un titre : Musée de l'Homme. Je suis preneur ! Adjugé !
Le quart de siècle qui précède cette appropriation, nous avions fait, avouons-le, grande consommation de toutes les formes d'anthropologie: début de la vogue humanitaire, grand chic des « sciences humaines », crédulités et optimismes divers. Que d'homme ! Que d'homme ! Gide l'avait compris avec sa subtilité habituelle quand son Œdipe répond au Sphinx : la réponse, c'est l'homme, quelle que soit la question.
Ils ne me font pas sourire les inconnus qui murmurent : « Ah, si je vous racontais ma vie, quel livre vous en feriez ! » Ils ont raison, ces naïfs. Rien de plus émouvant qu'une vie réputée « ordinaire », rien de plus amer, secret, étrange et étranger. Les matériaux quotidiens font la comédie humaine : une tâche sur laquelle vous saignez ; une mère qui glisse à l'absence ; une femme qu'enfin vous aimez après toutes celles que vous avez désaimées, perdues ; l'âge qui arme ses fusils... L'homme total et ordinaire méritait bien son musée. Je lui ai donné l'apparence d'un carnet de croquis : onze autoportraits de M. Tout-le-Monde. Voici le narrateur en père, fils, mari, en notable et en fantôme, en écrivain et en homme au rancart. Un petit bourgeois était une confidence sournoisement subjective - une patate chaude. Ici le conservateur a repris les choses en mains, mis de l'ordre, et il propose ce catalogue de mes expositions permanentes. (F. N.)

Livre 4 : Bratislava
Les récepteurs de radio, alors appelés postes de TSF, offraient au rêve, imprimés au dos d'une vitre et plongés dans la pénombre verte où un curseur allait les débusquer, les noms d'émetteurs exotiques, de stations improbables. Mystérieusement, Bratislava attirait toujours mon regard. Si les quatre syllabes rocailleuses, baignées d'eaux danubiennes et de songes slaves, ne m'avaient pas ainsi fasciné, ce livre n'eût sans doute pas existé. Ma vie en eût été changée, comme est détourné le cours d'un ruisseau : serais-je allé là-bas, en 1947, fêter mes vingt ans ? Y serais je retourné, la cinquantaine bien entamée, à la poursuite d'images presque effacées mais douées de la patiente insistance des songes ou de l'oubli ?
En somme, Bratislava est un exercice de mémoire. J'ai passé des heures, en 1986, à la recherche de lieux que la ville semblait avoir escamotés. Où est la vaste cour, comme d'une caserne ou d'un monastère, décorée de ce pavillon rococo devant lequel était dressée, pour l'orchestre, une estrade ? Le béton communiste avait recouvert mes souvenirs en même temps qu'un quartier de la ville : l'ancien ghetto, les abords du pont sur le Danube. Abandonné à l'incertitude par la défaillance d'une mémoire plus usée que je ne le croyais, je compris comment, à partir des mêmes faits, avérés ou réinventés, on peut glisser au roman, à la confidence, à la nostalgie, qui sont des degrés de l'oubli. « Exercice de mémoire » : expression trop scolaire. Comme d'autres de mes livres, Bratislava est un aveu, un compromis entre mes peurs et mes chansons, un cabotage au long de mon littoral. Mais quelle mer le baigne-t-elle ? À quelle heure sont attendues les grandes marées, prévus les grands départs ? Serai je prêt ? (F. N.)

Livre 5 : Roman volé
Roman volé est le récit d'un fait divers. C'est aussi une réflexion sur la possession, la dépossession, et la soustraction générale qui clôt toute vie. Une rupture du cours des choses produit chez le narrateur de longs échos : un vol. Quoi de plus banal, pourtant, qu'un vol ? À l'arraché, à la tire, à la roulotte, un casse, un saucissonnage : le vocabulaire est riche. Que nous volet-on, à ma femme et à moi, ce soir d'été? Argent, colliers, bagues, passeports, clés de maison et de voiture, différents joujoux bancaires panique ! Sans ses grigris, le roitelet d'Occident est nu. Mais pourquoi, dans l'aérogare en train de glisser à la nuit, cet excès de désarroi ? Parce que l'on a aussi volé à l'écrivain son manuscrit en cours d'achèvement. Pas de double ? Pas de photocopie, de « mémoire », de « disquette » ? Non, rien. Il n'est plus personne. Aussi désarmé. et gueux que le clochard endormi sous ses emballages...
Quel jeu le volé doit-il jouer ? Dramatiser ou minimiser ? Démangeaisons sécuritaires ou désinvolture ? On lui a volé ses rêves. Il craint la récidive, le piège, le martyre, le ridicule. Il craint, si jamais on le retrouve, de devoir relire son manuscrit « d'un oeil neuf », c'est-à-dire lavé par le vol, et de découvrir qu'il ne vaut pas tripette. Du moins le « travail de deuil », comme dit le langage élégant, a-t-il commencé d'effacer la magie, la crédulité, l'illusion littéraires ? On ne va quand même pas faire la guerre pour Dantzig, ni un scandale pour un roman contestable ? Nos textes nous sont donnés, dites-vous. Ils nous sont aussi volés : y voyez-vous une différence ? Création, imaginaire, personnages, etc. : sourdine ! sourdine !... (F. N.)

Livre 6 : A défaut de génie
Des Mémoires ? Certes non ! Le moins possible de grands décolletés, arquebusades, vieux maîtres bourrus. Des souvenirs ? Ce livre en est composé, comme de portraits, mais il ne cherche pas à être exhaustif, à n'oublier rien ni personne. Il procède plutôt par glissements, associations, hasards. S'il reconstitue une vie, c'est à travers des parfums, des colères, des plaisirs, des deuils et non pas des prouesses. L'auteur n'a pas cueilli un bouquet de fleurs d'index - d'ailleurs ne vous y cherchez pas, il n'y a pas d'index.
En somme, une vie ordinaire : foi, agnosticisme, tristesses sociales, alliances amicales et amoureuses, peur ou lâcheté devant les crimes du siècle, tentations et dégoûts politiques. Les livres - ceux des autres, les miens - ont bâti ma vie et fini par me faire une maison. À l'heure (tardive) où j'en suis, la mémoire s'abandonne aux grandes marées intérieures et secoue mon bateau. (F. N.)

46,55 €
Parution : Décembre 2002
Format: Poche
2148 pages
ISBN : 978-2-0704-2714-7
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