La Scène primitive
L'enfance est l'âge du doute. Replié sur lui-même parce qu'il supporte malaisément le regard d'autrui, le héros de ce récit découvre, sur une plage de Bretagne, son premier ami. Dix ou vingt ans plus tard, racontant ce souvenir de vacances, il en retrouve un autre, plus lointain encore, qui n'était pas oublié mais caché. Le temps ne fait rien à l'affaire : les moments d'autrefois n'ont rien perdu de leur fraîcheur et de leur prestige. Si, pourtant, en cours de route, le récit se déforme, c'est peut-être parce qu'il s'est passé, depuis lors, beaucoup de choses dont le narrateur ne dira rien, sinon par mégarde, mais qui le déterminent à écrire. C'est peut-être que le temps lui-même a modifié sa voix. Au début, le "je" qui parle s'identifie encore avec l'enfant. Un moment vient où, "je" n'est plus lui, où "je" n'est plus personne : on parle. Qui donc ? Question insidieuse, dont la mémoire elle-même ne tarde pas à être la victime. Francis et Léa, le père et la mère, deviennent, non plus les personnages d'une histoire, mais les figures confondues d'une scène unique, toujours revécue, primitive et dernière, qu'il ne s'agit plus de décrire, mais de répéter.