Éden, Éden, Éden
Le grand désert, ses zones vivrières, pastorales, pétrolières, nucléaires, frontalières. La guerre, le viol de vivants et de morts, un crime passionnel, des incestes, la faim. Un bordel de femmes pour les soldats, un bordel de garçons pour les ouvriers ; contigus et communicants : quelques heures d'une exaltation sexuelle sans précédent. Epouses, fiancées, soeurs, libres, installées sur les limites du territoire prostitutionnel, surveillent, commentent la perte, en des orifices stériles, du sperme reproducteur. Plus loin, en fin de journée, sur le sol incertain d'un commencement de steppe, deux corps de rencontre (mais ne sont-ils pas mère et fils ?) et leurs "annexes", un bébé et un singe pour la femme errante, son esclave pour le nomade adolescent, reconstituent, encerclés par le mouvement hostile des choses avant la nuit, la gesticulation du couple d'après la Chute, le premier accouplement, le premier alphabet. L'état de terreur absolue. Longtemps placé sous censure, Eden, Eden, Eden, comme d'autres grands classiques de notre littérature, laisse entendre, au travers d'une mise en scène éclatante de la "monstruosité" (bonheur dans l'assujettissement, désarroi dans la liberté), ce chant indestructible parce qu'inexplicable : le rire de l'innocent que l'on souille et qui ne le sait pas.