Du bruit dans les arbres
« Ils vont sonner et sans leur demander de décliner leur identité je vais ouvrir. Ce sera très bref, je les accueillerai en leur disant que je n'ai rien à dire, que je vais mourir bientôt, qu'il n'est rien dans ma vie que je regrette, aucune action, aucune parole, et là, chacun reconnaîtra les siens, et que tout se trouve dans mes livres. Quant à ce qui ne s'y trouve pas, c'est que ça n'aura pas existé, car je suis tout entier dans mes livres, uniquement là, et que la littérature est ainsi faite que le souvenir écrit remplace peu à peu le souvenir vécu. Je leur dirai que rien n'a d'importance sauf une chose : les branches d'acacias et de poiriers, les platanes du début de printemps lorsque la pluie menaçait, ces espaces exigus qui se métamorphosaient en immenses contrées dès que nous y grimpions, et les feuillages qui dansaient sous l'effet de la brise et du vent, je leur dirai que rien aujourd'hui ne me semble avoir plus d'importance que le bruit du vent dans les arbres, que la seule chose au monde que je regretterai à l'instant où j'en terminerai avec cette comédie de la vie ce sera cela, Denver et ses amies, la brise, les branches qui s'agitent, les jeux de lumière dans les feuilles, l'approche de la pluie, et le chuchotis infini, puissant et mystérieux, du vent dans les arbres. »