Ponts flottants
«Ce livre, qui n'est pas un roman, se trouve pourtant animé par deux principaux personnages. Le premier (il conduit à l'autre) est l'espace acrobate qui s'accommode des plus diverses situations. On le verra par exemple circuler sur des chemins en Bourgogne ou dans un faubourg de Bordeaux, près des ruines de Palmyre ou par les rues de Londres, entre des hôtels du Marais ou des villas de banlieue, voire dans une cage d'escalier, et là où l'on ne sait plus l'évaluer qu'en unités astronomiques déclenchant des hémorragies de zéros.
L'autre personnage est le temps. Il n'y a que lui véritablement qui marche, et sans arrêt, droit devant soi à travers même les éléments dont quelques litres de liquides et quelques pincées de minéraux nous constituent. Il s'écoule, dit-on. J'ai voulu alors remonter vers sa source et, en jetant çà et là des ponts plutôt flottants (toujours grâce à l'espace où gisent les pierres, poussent les arbres, ruissellent les eaux, sinuent les routes, passent les amours), tâcher de voir de quoi il retourne.
Je rapporte ici ce que j'ai vu, imaginé peut-être. Mais l'imaginaire contient souvent une petite part de possible, et le possible, de réel qui n'a pas pris corps, en tout cas dans l'espace. Ni dans le temps – et il a fallu quelque peu élever le ton avec cet interlocuteur coriace. Je ne m'avoue pas battu.»
Jacques Réda.