Trésor d'Amour
« On vit donc à Venise, Minna et moi, à l’écart. On ne sort pas, on ne voit personne, l’eau, les livres, les oiseaux, les arbres, les bateaux, les cloches, le silence, la musique, on est d’accord sur tout ça. Jamais assez de temps encore, encore. Tard dans la nuit, une grande marche vers la gare maritime, et retour, quand tout dort. Je me lève tôt, soleil sur la gauche, et voilà du temps, encore, et encore du temps. On se tait beaucoup, preuve qu’on s’entend. L’amour, c’est comme retrouver un parent perdu, son regard traverse la mort, et, avec lui, surgissent des foules de détails précis, formes, sons, couleurs, odeurs. Une femme vraiment aimée est brusquement la même qu’une autre, très différente, et qu’on n’oubliera jamais.
Mais cette matinée aussi est la même qu’il y a vingt ou trente ans, ce rayon de soleil est le même, ce passage de bateaux le même, ces mouettes les mêmes. L’autre, contrairement à la vieille rengaine romantique, est le même quand même. Toute séparation se dissout dans le soir puissant. Les amoureux sont seuls au monde parce que le monde est fait pour eux et par eux. L’amour est cellulaire dans les tourbillons du hasard, et ces deux-là avaient une chance sur quelques milliards de se rencontrer à la même époque. Entre le français et l’italien, il y a une longue et bizarre histoire. Elle ne demande, avec Stendhal, qu’à s’approfondir». Philippe Sollers.