Sort l'assassin, entre le spectre
Sort l’assassin, entre le spectre est un texte né de la rencontre entre Pierre Senges et Thibault de Montalembert.
Sort l’assassin, entre le spectre est le monologue d’un homme qui se souvient d’avoir été Macbeth, sans parvenir à savoir s’il a été le véritable roi d’Écosse ou un comédien dans le rôle de Macbeth.
Le personnage de Shakespeare incarne la figure du régicide et du tyran, un jusqu’au-boutiste du pouvoir. Des nombreuses figures d’usurpateurs dont le répertoire du théâtre est rempli, Macbeth est l’un des plus célèbres, peut-être parce qu’il a su admettre la vérité juste avant de perdre définitivement la tête, en comparant sa vie à « une ombre en marche (…), un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien », et lui-même « à un comédien qui se pavane et s’agite une heure sur la scène d’un théâtre ».
Le Macbeth tel que le reprend Senges est ce personnage indécis, sur un mode fougueux, autour de qui tournent les questions de légitimité et d’usurpation, de destin et de libre-arbitre, de réalité et d’affabulation. Il s’agit pour notre comédien en quête d’identité de chercher les signes qui lui permettront d’en finir avec ses questionnements : il devra consulter sa mémoire, fouiller ses poches et ses valises, examiner ses accessoires, partir à la recherche d’éventuels témoins, enfin convoquer différentes figures de la pièce pour leur demander leur avis. Comme il s’imagine tour à tour roi et comédien, le prétendant Macbeth en vient à émettre toutes sortes d’hypothèses, et chacune se développe sous la forme d’un récit à l’intérieur du récit. L’occasion d’aborder le thème de la représentation en politique, appelé parfois le « spectacle du pouvoir », divertissement traditionnel pour assurer le pouvoir du spectacle. Son approche n’est pas une critique de la représentation. Il s’agit plutôt d’exiger du tyran qu’il ne se fasse pas d’illusion sur ses propres jeux de scène, qu’il ne surjoue pas et surtout qu’il ne se contente pas d’une version médiocre de la cérémonie. En somme, si le tyran est condamné au spectacle, qu’il le fasse avec compétence, et, si possible, dignité.
En confrontant une caricature de saltimbanque à une caricature de roi, Pierre Senges cherche à remettre en question l’éternelle opposition entre l’art et la tyrannie. Par tradition, l’un et l’autre s’opposent, comme le principe de réalité à l’imaginaire, le pragmatisme à l’émotion, la volonté de puissance à la bohème artiste. Alors notre Macbeth, celui de Sort l’assassin, entre le spectre, doit rapidement déchanter : il constate assez tôt que la distinction est plus délicate qu’il ne le croyait. Une confusion existe, due peut-être au fait que des siècles durant le théâtre n’a cessé de représenter des rois, trouvant auprès du spectacle du pouvoir un inépuisable vivier pour ses drames et ses farces... Pour ne pas devenir une charge non plus contre les tyrans, une charge qui aurait le tort de se draper dans le velours des rideaux de la vertu et s’inventer des adversaires semblables à ses désirs, Sort l’assassin, entre le spectre n’est pas tendre envers le Macbeth comédien, c’est-à-dire envers les arts, c’est-à-dire envers lui-même. L’humour étant, si possible, une autre façon d’évoquer de très anciens et très sensibles rapports de force.