J'habite dans la télévision
Chloé Delaume a construit J’habite dans la télévision comme un rapport en vingt-sept pièces émanant du Ministère de la Culture et du Divertissement, département Industrie de la littérature.
Confrontant les fictions individuelles au formatage d’une fiction généralisée, l’auteur repose avec ce livre la question de l’autofiction. Face à la grande Fiction collective, face à un ennemi qui n’a plus de visage ni de corps en propre, dire « Je » est une façon de résister, de rester debout. Mais si Chloé Delaume se confronte au petit écran et à ses hypnoses cathartiques, elle le fait non pas en pamphlétaire-documentariste, mais en écrivain, sur le qui-vive, telle une sentinelle.
Dans ce neuvième livre de Chloé Delaume, une narratrice – « la sentinelle » –, pour comprendre comment se fabrique exactement et concrètement la mise en disponibilité du temps de cerveau humain, décide de se livrer à une expérience.
«Le projet fut conçu pour durer 22 mois, au cas où, au final, ce serait l’Apocalypse. Il n’avait pas de nom. Il consistait en une étude, celle d’un sujet soumis du lever au coucher à la télévision.»
Devenue volontairement son propre sujet d’étude, elle va se soumettre aux afflux de messages médiatiques et publicitaires et observer le maximum de programmes de divertissement pour en ramener des informations du réel. La narratrice cherche à définir les nouveaux types de réflexes et de besoins « implantés » en elle par cette immersion dans la télévision, en observer les effets, les identifier pour mieux les analyser, les combattre afin d’échapper à cette fiction généralisée, la nôtre.
Plus elle s’enfonce dans cette expérience, plus la narratrice constate comment son point de vue change: son cerveau et son corps se modifient, certaines préférences gustatives se mettent en place... Elle tente de résister à ce passage en force de la disponibilité de son cerveau. Sa perception des autres s’oriente de celle d'un être humain observé à celle, distanciée, d’un cobaye de laboratoire. Apparaît en elle le sentiment d’être dans la télévision.
Progressivement, son hémisphère gauche commence à fondre et cherche à s'échapper de sa tête par le canal lacrymal, puis elle est victime d’hallucinations ; elle rejette son corps ; perd sa libido ; son inconscient se trouve parasité par ce monde réel qui n’en est pas un, son comportement bascule : elle est alors avalée par la télévision.