Journal: (1966-1974)
En 1966, à l'âge de vingt-trois ans, Jean-Patrick Manchette commence à écrire son journal. Il le tiendra régulièrement jusqu'à sa disparition en 1995. Au terme d'une année 1966 où les notes personnelles sont jetées sur un agenda, il choisit le support qu'il conservera jusqu'au bout : des cahiers à petits carreaux au format 17 x 21 cm, le plus souvent épais de 224 ou 256 pages. Ce passage à un espace d'écriture dépourvu de limites marque le début d'une oeuvre personnelle qui s'étendra sans discontinuer sur trente années. Le journal de Jean-Patrick Manchette compte en tout vingt cahiers, soit environ cinq mille pages manuscrites, augmentées d'articles de presse ou de photos découpés dans divers journaux, collecte minutieuse et ironique de petits faits dont la juxtaposition dresse, avec un pessimisme prémonitoire, le tableau d'une époque qui bascule vers la guerre sociale et le triomphe du négatif. La manière dont Manchette rédige ce journal, naturelle et non délibérée, est, en définitive, la même que dans ses romans : l'utilisation du style comportementaliste, ou behaviorist, cher à Dashiell Hammett, son auteur de référence dans le domaine du roman noir. Seuls les comportements, les actes et les faits sont décrits et recensés, presque jamais les sentiments ou les états d'âme. Des fragments visibles du puzzle, il appartient alors au lecteur de tirer la vision d'ensemble et d'entendre, par-delà les mots, ce qui n'a pas été dit. Ce volume regroupe les quatre cahiers couvrant la période déterminante du 28 décembre 1966 au 27 mars 1974, où Manchette décide de vivre de sa plume et y parvient au prix d'efforts sans cesse renouvelés et d'une quantité phénoménale de travaux sur le texte, tour à tour insignifiants, laborieux ou brillants. S'y dessine le parcours d'un homme qui trouve sa véritable voie, apprend son art et devient écrivain. Se dévoile donc ici pour la première fois, et de manière totalement inédite, le portrait d'un écrivain hors normes qui renouvela le polar français, et dont ces pages fiévreuses nous font bien comprendre au prix de quel travail et de quels efforts ce bond en avant fut possible.