Esthétique, I : Une nouvelle région du monde
« Chacun de nous rapproche les uns des autres et à son gré ses fleuves, ou ses montagnes, ou bien ses canyons ou ses forêts et ses brousses, ses baies ou ses lacs, ses vals ou ses fjords, qui partagent les géographies et qui assemblent les histoires du monde, tous les fleuves où des peuples brûlèrent des feux pour la clarté de leur eau, et les montagnes où tant d'autres piétèrent, et les grandes vallées et les ravines qui ont frayé des traces légères pour les marronnages, et les brousses où tant de marrons et de résistants s'acassèrent. Les réunir à chaque fois dans une poétrie ou un chaos-opéra, c'est une manière fertile de se déposséder de ces lieux, pour mieux y convenir. Les poétiques du Tout-monde sont issues des imaginaires de nos politiques les plus disséminées, les plus obstinées, ici et partout, combats ignorés et cris mal entendus et rassemblements fragiles et visées tellement impossibles à tenir. »
Édouard Glissant.