Devant ma mère
Enfant, m'a-t-on dit, je voulais être avec ma mère, ne pas la quitter, qu'elle ne me quitte pas. On me l'a rappelé plus tard, dès la fin de la guerre, avec attendrissement, ou pour se moquer un peu de mes désirs d'indépendance. A présent, je ne peux plus être avec elle, ni même près ou auprès d'elle. Dans l'état où elle est, ce que je peux espérer en allant la voir et en y passant du temps, c'est qu'elle regardera dans ma direction, sans me reconnaître vraiment, et qu'elle me permettra ainsi d'être devant elle, de lui parler pour réveiller brièvement sa capacité à mimer une conversation, de lui donner à manger. Je la reconnais, je la regarde, je l'écoute. Malgré notre connivence humoristique de toujours, à présent presque totalement détruite, je me sens comme devant une figure très ancienne, une statue faiblement animée mais puissante, monumentale. P. P.