Joyeux animaux de la misère
Cette fiction, non pas un roman, il n'y a pas vraiment des personnages, mais des figures, se déroule dans une mégapole intercontinentale et multiclimatique, constituée de sept villes. Des vaisseaux spatiaux et des drones sillonnent le ciel. En bas, des animaux, des monstres préhumains et des fous de dieu. En bordure d'un district de l'une des villes, le climat est chaud, à proximité d'un grand port, dans ce qui reste d'un immeuble, un rez-de-chaussée et deux étages abritent un bordel dirigé par un jeune maître.
Trois prostitués, deux mâles, un père et son fils, et une femelle servent les clients : des époux trompés, des pères prolifiques, des fugitifs de toutes sortes. Une fois par mois, le fils rend visite à sa mère aux confins de la mégapole. La fiction, une comédie de dialogue, de conversations à plusieurs comme du « direct » au cinéma, progresse sous la forme de tableaux. Les corps se mêlent en douceur dans un climat d'ambivalence sexuelle, d'incertitude. La différence sexuelle n'est pas niée, mais son exploitation, sa représentation dans l'écrit. Le spectre du désir s'en trouve élargi. La langue est très inspirée, le ton enjoué.
Le « marivaudage » fonctionne dans un monde clos, le monde clôturé du bordel . Ce texte, de nature fantasmagorique, libère des visions qui tantôt s'enracinent dans un fond pré-humain voire d'origine animal, tantôt se projettent vers l'infini et la vastitude de l'espace.
Comme « Tombeau pour cinq cent mille soldats », « Eden,Eden,Eden », ou encore plus près de nous « Progéniture » en 2000, Pierre Guyotat en faisant oeuvre de fictionnaire révèle l'arrière-fond de l'humanité - un monde peu désirable- comme le firent avant lui Sade ou Artaud.