Surfaces sensibles
Sept ans après l'accident qui l'a rendue aveugle et défigurée, la photographe Lori Kemp enregistre ses Mémoires. Lignes courbes d'une vie incadrable : une enfant qui s'ennuie jusqu'au jour où elle trouve un appareil photo dans les affaires de son père, les « années Gaïa », l'agence où elle travaille avant de créer son studio, la naissance de sa fille, Zoé, alors que Lori court les festivals et qu'un profond malaise s'installe : « Je représentais le mouvement, l'époque si l'on veut, mais quoi d'autre ? »Pour transcrire ses enregistrements, elle engage et héberge Babette, chanteuse de jazz dont la carrière s'est arrêtée net après une rupture violente. De soir en soir, intriguée par la personnalité de Zoé, Babette se confie à la jeune fille recluse dans son propre mystère : « Toi qui te tais et moi qui parle. La musique et le vin. La musique et ton silence, le vin et mes mots. »D'une chambre l'autre, c'est une mystérieuse intercession, une étrange cérémonie qui se joue entre ces trois femmes, chacune à un point précis de sa vie. Ce qui se joue entre ces voix et ces silences : on touche l'autre comme on ouvre une porte. On passe par l'autre. On frôle le secret terrible qui lie une mère et sa fille. Ce que l'art aura exigé d'une photographe, d'une interprète et d'une jeune musicienne, et ce qu'il aura donné en retour. Après Le Testament de Vénus, Enzo Cormann poursuit un travail romanesque sur les pratiques et les parcours artistiques. Il s'attache à suivre et rapprocher ces trajectoires solitaires, interfaces d'une même étrangeté, comme il capte les mouvements d'ensemble, ces strates invisibles et ces surfaces sensibles, par où dire la vie.