Il y avait des rivières infranchissables
Un premier regard échangé derrière une haie, un premier baiser volé parmi les fleurs d'une clairière, une première étreinte maladroite dans un lit trop petit. Dans un recueil de nouvelles porté par une langue précise et évocatrice, Marc Villemain met en scène la naissance du sentiment amoureux, l'hésitation initiale de jeunes gens qui, en découvrant l'autre, se révèlent à eux-mêmes. Les détails - un morceau de chocolat pour le goûter, une chanson dans une salle de fête communale, une balade à vélo sous le soleil d'été, la sensualité d'un sein aperçu - nous emportent dans un voyage tendre et bienveillant, brutal parfois, celui d'un homme qui explore les vertiges et vestiges de ses amours passées.
On pense à Dominique Mainard, à son art d'aborder avec délicatesse les sujets les plus intimes, passant de la noirceur à la légèreté avec une élégance infinie.
C'est le problème des régions océanes : les corps y prennent goût à la douceur. Une chemisette en lin vient sans peine à bout d'une petite suée, une écharpe en laine et un col roulé suffisent à préserver des rigueurs hivernales - pas le Grand Nord, certes, mais pour les chairs salées, mais pour les peaux ensablées, trois petits matins de bourrasques et de givre occasionnent autant de palabres qu'une défaite en championnat ou une controverse municipale. À moins d'être marin pêcheur et de tanguer ses nuits en solitaire avec pour seuls compagnons le froid qui mord la peau et le sel qui dessèche la couenne, l'organisme humain en zone tempérée a fini par perdre les acquis de millions d'années d'endurcissement. Alors si l'été les yeux s'égarent en transparence sous les p'tites jupes légères, s'il faut, l'été sur le sable chaud, être bel homme pour seulement oser approcher une de ces filles presque entièrement nues qui feignent de croire à la banalité de leur grâce ou à l'anonymat de leur beauté, et qui parfois vont jusqu'à mimer la distraction ou l'étourderie en dégrafant leur soutien-gorge, les froidures de l'hiver signent en quelque sorte le retour à la normale. Silhouettes épaissies, teints gris, dermes rougis et nez coulants : l'hiver est la chance de l'homme ordinaire.