Radar poésie: Essai sur Aragon
Aragon est un virtuose de la multiplicité poétique. Il l'est dans le ton, qui va du sarcasme et de l'incongruité au sublime approprié aux engagements essentiels. Il l'est dans la forme : qui a su maîtriser comme lui tous les registres de l'énonciation ? Depuis le pur classicisme rénové de la rythmique jusqu'aux lisières de la prose triviale, depuis la strophe resserrée jusqu'à l'épanchement narratif, depuis la solidité cohérente jusqu'aux coupes les plus acrobatiques. Tout comme, dans ses romans, on tombe soudain sur une cadence qui illumine la prose, dans les recueils poétiques, une sorte de narration prosodique sous-jacente amarre le chant au réel. Cette totalisation des écritures rend difficile de choisir une approche pour parler de cette sorte de caméléon génial que fut Aragon, à l'intérieur même de la consistance de ses engagements, et ce aussi bien dans son oeuvre que dans sa vie. J'ai choisi d'entrer dans l'énorme massif poétique d'Aragon à partir de ce que je crois être un élément décisif de sa subjectivité. A savoir que ce qui met en branle le poème est ce qui se manifeste comme cause du péril d'un engagement sans retour possible. Le détail des mots compte, ici. [...] Point sur lequel je veux conclure en saluant, chez cet écrivain total dont on a souvent, pour des raisons politiques, stigmatisé l'opportunisme et le goût du pouvoir, oui, en saluant la forme singulière de courage qu'il engagea dans ces intimes autocritiques, dans la fabulation de sa misère propre, et finalement, dans le résumé qu'il fait de tout un pan de son existence : Ce n'est pas intéressant, c'est le lot de tout le monde, mais justement. Mais : justement. A.B.