Les Rats
A la fin des années cinquante, Morand qui voguait vers Trieste dans son Aston Martin m'envoya une carte postale - son mode de communication préféré pour griffonner ses oracles - ainsi conçue : " Cher Frank, vous serez traversé et retraversé. Vous verrez. Amitiés. Morand. " Je vis, en effet. Alors que mes livres étaient introuvables, des jeunes hommes s'assirent sans façon à la table que j'avais quittée. Bon, tel de mes livres, j'aurais compris, mais Les Rats ? Ce fichu roman m'avait valu en son temps (1953) tant d'ennuis, des brouilles en cascade, que j'avais fini par le prendre en grippe. Avec sa haine du " naturalisme ", son dialogue ébouriffé qui ouvrait plus de portes qu'il n'en fermait, qu'a-t-il pour séduire ou irriter ? Y-a-t-il tant de jeunes garçons pour se demander encore si la Côte est un métro ? Si Malraux va obtenir ce soir 12 briques de Gallimard ? Si les Russes vont envahir l'Europe ? Si les croisières au large de Ceylan sont si rigolotes que ça ? Ce que Sartre fait au bar du Pont-Royal ? Si la Bolivie va l'emporter sur le Chili ? Mais était-ce bien ça qui occupait Bourrieu, Ponchard, Weil et François ? Les Rats sont un roman B comme ces films américains du Mac-Mahon où nos héros prenaient leur première leçon de conduite dans la fraîcheur des commencements.