Les Rats
Les "Rats", ce sont Bourrieu, Weil, François et Ponchard, une constellation de jeunes gens blasés et ambitieux, qui rêvent de s'introduire dans le monde des lettres, et, en attendant, sortent les filles comme on allume des cigarettes. Livre foisonnant, livre sur la naissance des vocations littéraires et la vie parisienne de la jeunesse dorée des années cinquante, Les Rats dit avant tout l'ennui existentiel qui assaille ses personnages principaux, et les conduit de vacances sur la Côte d'Azur en cocktails éditoriaux pour finir révolutionnaires en Amérique du Sud. Bernard Frank dessine une véritable radioscopie, implacable et mordante, d'un monde hanté par une insatisfaction chronique et le piège de la médiocrité, mais également des ressorts les plus profonds de nos rapports sociaux. Dans sa préface, Olivier Frébourg souligne: "Aujourd'hui, alors qu'une majeure partie de la littérature et de la critique parisienne patauge dans les bons sentiments et l'humanisme pleurnichard, Les Rats s'impose comme un contrepoison, l'antidote au sentimentalisme. Ici le cynisme est une épreuve de vérité, un révélateur. L'humanité y est épinglée avec cruauté et insolence."
A la fin des années cinquante, Morand qui voguait vers Trieste dans son Aston Martin m'envoya une carte postale - son mode de communication préféré pour griffonner ses oracles - ainsi conçue : " Cher Frank, vous serez traversé et retraversé. Vous verrez. Amitiés. Morand. " Je vis, en effet. Alors que mes livres étaient introuvables, des jeunes hommes s'assirent sans façon à la table que j'avais quittée. Bon, tel de mes livres, j'aurais compris, mais Les Rats ? Ce fichu roman m'avait valu en son temps (1953) tant d'ennuis, des brouilles en cascade, que j'avais fini par le prendre en grippe. Avec sa haine du " naturalisme ", son dialogue ébouriffé qui ouvrait plus de portes qu'il n'en fermait, qu'a-t-il pour séduire ou irriter ? Y-a-t-il tant de jeunes garçons pour se demander encore si la Côte est un métro ? Si Malraux va obtenir ce soir 12 briques de Gallimard ? Si les Russes vont envahir l'Europe ? Si les croisières au large de Ceylan sont si rigolotes que ça ? Ce que Sartre fait au bar du Pont-Royal ? Si la Bolivie va l'emporter sur le Chili ? Mais était-ce bien ça qui occupait Bourrieu, Ponchard, Weil et François ? Les Rats sont un roman B comme ces films américains du Mac-Mahon où nos héros prenaient leur première leçon de conduite dans la fraîcheur des commencements.