Mémoires intérieurs ; Nouveaux Mémoires intérieurs
Ni la mort ni le soleil ne peuvent se regarder en face - ni nous-même. Du moins pouvons-nous confronter les reflets de ce que nous fûmes, qui tremblent encore dans nos vieilles lectures, et l'être que nous sommes devenu. Oui, voilà bien le fil conducteur de ce voyage à travers mes premiers enchantements. Mais ce n'est qu'à partir du moment où nous avons commencé à nous chercher dans les livres, la première adolescence, que les proses et les poèmes ont gardé comme une empreinte de celui qui, il y a un demi-siècle, les lisait avec tant d'amour. La trace y subsiste de ce que nous y rajoutions pour les rendre conformes au désir de cet âge et à notre songe d'alors. Ainsi ces oeuvres épousent-elles notre plus secrète histoire, et parler d'elles, c'est parler indirectement de nous - enfin du nous que nous fûmes, que nous nous souvenons d'avoir été. Mémoires intérieurs (1959) Je crois que l'essentiel sur moi, et même ce qui n'est pas dit, se trouve dans ces pages. Ce n'est pas toujours par politique ou par prudence qu'un mémorialiste se tait, - plutôt par bonne éducation, par pudeur, - et surtout parce qu'il ne dépend de personne de se livrer. Comment le pourrions-nous ? [...] Je crois en Celui que j'aime. Ce n'est pas moi que j'aime. Non, ce n'est pas moi que j'ai aimé, ni la vie que j'ai eue. Je ne me plais pas à moi-même : je ne me déteste pas non plus et serais plutôt porté à me prendre en pitié quand la nuit je sens sous ma main battre mon coeur infatigable. J'ai été aimé et j'ai été haï. Plus aimé que haï ? Plus haï qu'aimé ? Dieu le sait. Nouveaux Mémoires intérieurs (1965)