Le goût de lire
Les premières pages d'un livre posent toujours au lecteur la même question : " Allez-vous me comprendre ? ". Qui, parmi ceux qui osent l'aventure du livre, n'a pas ressenti cette anxiété propre aux commencements intellectuels ? Rien n'est d'emblée assuré ; rien n'est donné au départ ; tout est à prendre ou du moins à com-prendre. En ces débuts voilés, on ne prévoit rien ou si peu de choses ; on doit découvrir avec circonspection, mettre au jour avec prudence, se frayer des chemins parfois incertains. Et puis, peu à peu, les couloirs obscurs s'éclairent ; notre regard porte un peu plus loin, anticipant le prochain virage, la prochaine bifurcation. Ces personnages que l'on s'est donné la peine de connaître deviennent plus proches ; on en prévoit mieux les comportements et les relations, sans complètement s'y fier. Ces lieux dont on a, mot après mot, dessiné les contours deviennent les décors plus familiers de nouveaux événements. Ce qui, au commencement, était une terre inconnue et par là même inquiétante se transforme à mesure que l'on y pénètre en lieu de retrouvailles et de reconnaissance. C'est avec cet espoir d'une aube promise que, lecteur de la création d'un autre, nous acceptons le moment si difficile de l'abord. L'instant où s'impose l'effort intellectuel qui seul permettra de dissiper les ténèbres et d'ainsi mériter de devancer peu à peu les mots du texte. Alain Bentolila