Henri Bergson
LE mot, Joie un mot aussi important chez Bergson que chez les Prophètes : la joie qui fait danser les hommes, la joie des radieux lendemains, ne tient-elle pas avant tout à la délivrance, c'est-à-dire à l'opération de la liberté ? Cette délivrance est infinie, comme est continuelle la guerre libératrice qui nous sert à conquérir et à sans cesse reconquérir notre liberté toujours menacée. La délivrance de l'homme empirique ne prendra donc jamais fin ; incapable de jouir dans l'intervalle d'une liberté en acte, l'homme sera en lutte jusqu'à la fin des temps, et sa libération ne cessera jamais. Car, pour ce qui est de la Jérusalem de lumière, de la Ville invisible des légendes russes, de la céleste Kitiège de notre espoir, c'est là un grand mystère dont la mort nous sépare irréversiblement et que nous ne pouvons connaître en ce monde. Aussi est-ce dès ici-bas que doit fleurir et refleurir dans nos coeurs l'invisible cité où les hommes n'ont plus ni faim ni soif, ne grelottent plus de misère et de froid, et ne souffrent plus les uns par les autres. Alors nous entendrons peut-être dans le silence les anges de la nuit qui nous parlent de la lointaine Kitiège et chuchotent à notre oreille les choses indicibles.