La Dialectique de la durée
En plein régime communiste roumain et sous Ceausescu, dans ces Carpates lointaines mais contemporaines, les hommes et les femmes pratiquent des rapports sociaux étrangers à ceux que l'idéologie dominante tend à imposer. Ils règlent leurs actions et leurs pensées en suivant, pour l'essentiel, une logique des relations d'alliance et de parenté très exactement calculée. Mais s'ils savent exercer celle-ci réflexivement, pour les arrangements d'héritage et de dotation. Ils l'articulent surtout pragmatiquement, par le cérémonial et poétiquement, par le rituel. C'est tout ce monde d'opérations et de sentiments, d'émotions, et de passions que ce livre restitue à travers l'interprétation des grands rituels de la naissance, des noces et des funérailles. Certaines de ces oeuvres de la culture roumaine, telles que les noces du mort-marié au Maramures ou le chant des Aubes lors des funérailles en Olténie, ne sont-elles pas des chefs d'oeuvre de la culture européenne ancienne ? Faut-il les considérer comme les vestiges d'un patrimoine millénaire menacé de disparition ? Ou plutôt comme de grandes performances à enjeux bien réels, que des acteurs sociaux aiment exécuter parce qu'ils articulent ainsi leur pensée mieux que par des discours : par le jeux des corps, la manipulation des matières, le langage des couleurs, des odeurs et des saveurs ? Les maîtres-bergers des Carpates ne font plus le "feu vivant", ce feu qu'ils allumaient rituellement naguère pour fonder leurs établissement en montagne. Mais les hommes et les femmes de là-bas savent toujours que rien n'actualise mieux des relations d'alliance et de parenté que la beauté et la perfection du rituel.