Kleist, un jour d'orgueil
Quel usage faire de ma vie ? se demande le jeune Kleist au sortir de l'armée. Comment répondre, sans le trahir, à l'appel d'énergie que je sens bouillonner en moi ? Autant de questions puisées dans la vulgate naissante du roman d'éducation, qui deviennent chez lui suffocantes et destructrices : comme si, à force de rigueur et de concentration, elles détruisaient le plan nécessaire à leur déploiement. Apôtre de la Raison, dramaturge, fonctionnaire, journaliste, héraut de la cause nationale, Kleist erre d'une ville à un champ de bataille, d'un salon ou d'un ministère à une armée en marche, et ne connaîtra jamais qu'éclats, saccades et fulgurations. Aucune " biographie " ne peut accueillir ses faits et gestes. Il reste étranger aux mythes du développement de soi que proposent, au lendemain de la Révolution, les grands artisans de la continuité - Kant, Goethe et Napoléon. Que faire, lorsque les projets successifs n'ont pas d'élément commun et se soldent par autant de naufrages ? Chercher, dans un cérémonial de mort, l'évidence fluide qui pourra justifier la vie.