Philosophes dans la tourmente
J'ai choisi de rendre hommage à six philosophes français - Canguilhem, Sartre, Foucault, Althusser, Deleuze et Derrida - dont l'œuvre est connue et commentée dans le monde entier, et qui ont eu pour point commun, à travers leurs divergences, leurs disputes et leurs élans complices, de s'être confrontés, de façon critique, non seulement à la question de l'engagement politique mais à la conception freudienne de l'inconscient. Ils furent tous des stylistes de la langue, passionnés d'art et de littérature. C'est bien parce qu'une telle confrontation est inscrite dans leurs œuvres et dans leur vie qu'ils peuvent être réunis ici. Ils ont tous refusé, au prix de ce que j'appellerai une traversée de la tourmente, d'être les serviteurs d'une normalisation de l'homme, laquelle, dans sa version la plus expérimentale, n'est qu'une idéologie de la soumission au service de la barbarie. Loin de commémorer leur gloire ancienne ou de m'attacher avec nostalgie à une simple relecture de leurs œuvres, j'ai tenté de montrer, en faisant travailler la pensée des uns à travers celle des autres, et en privilégiant quelques moments fulgurants de l'histoire de la vie intellectuelle française de la deuxième moitié du XXe siècle, que seule l'acceptation critique d'un héritage permet de penser par soi-même et d'inventer une pensée à venir, une pensée pour des temps meilleurs, une pensée de l'insoumission, nécessairement infidèle. E. R.