Les Insoumis
Ils sont cinq. Ils sont tous morts. Depuis, leur légende a grandi. Avec eux a disparu un certain art de vivre, quelque chose de très français. Ils ne rentraient pas dans le lot. Il y a l'acteur Maurice Ronet qu'on a tué tant de fois au cinéma et qui faisait mordre la poussière au quotidien. Il y a le scénariste Paul Gégauff, qui travailla avec Chabrol (Les bonnes femmes, Que la bète meure), que Rohmer admirait. Il fut l'inventeur du fameux dîner de cons et finit poignardé par sa femme un soir de réveillon. Il y a Pascal Jardin, l'auteur du Nain jaune, qui signa cent films, aima une seule femme à travers une multitude d'autres. Il y a le producteur Jean-Pierre Rassam (La grande bouffe, La maman et la putain) qui confondait son métier avec celui d'éditeur, occupa une suite à l'année au Plaza, fut patron de la Gaumont avec Jean Yanne pendant quelques jours et termina dans la ruine et les barbituriques. Il y a l'écrivain Dominique de Roux, qui créa les Cahiers de l'Herne, publia quelques livres pétaradants, rêvait de réconcilier De Gaulle et Mao, crapahuta dans les maquis angolais aux côtés de Savimbi et fut victime d'une crise cardiaque. Ce furent de grands vivants. Ils faisaient bouger le monde autour d'eux. Séduisants, insupportables, imprévisibles, ils auraient pu être des personnages de roman. Aujourd'hui, ils ne pourraient plus exister. L'époque ne le permettrait pas. Ils s'en ficheraient : c'est une époque qui leur aurait fortement déplu.