Maîtresse Kristal et autres bris de guerre
Ma jeunesse a été marquée par les contes de ma famille, par la vaillance de mes oncles colonels, et la voix aujourd'hui engloutie de ma mère me raconte pour toujours qu'à Saint-Privat-la-Montagne, dans le cimetière de famille, j'ai joué, tendre enfant, sur la tombe du Uhlan de la mort et du cuirassier français qui s'étaient mutuellement embrochés au milieu des sépultures et reposent désormais côte à côte. Ceux qui me suivent le savent. La musique des abandonnés est dans mon jeu. Si, dans ce recueil, a contrario des modes, je fais surgir des fusillés de 1917, des rapatriés d'Algérie, des moujiks, des rescapés du Vietnam, des fascistes désaffectés, des enterrés du fort de Vaux, c'est parce que j'aime écouter les drôles de voix tremblées de ceux qui racontent l'incompréhension, l'injustice ou l'infecte saumure d'un monde où la folie des projets humains les a plongés. Voilà, je pense, de quoi mieux éclairer les sources de mon pacifisme libertaire. J'aime la drôle de vie chahutée par ceux qui bousculent l'ordre, se rebellent ou s'insurgent. Je suis touché par les perclus de guerre qui poussent des cris d'amour, de colère ou de doute, et lèchent tant bien que mal leurs blessures. J'aime leur humour, leur déraison, leur désespoir, qui n'ont plus rien à perdre. À l'automne de ma vie, j'ai voulu rendre compte des bris de guerre. Des blessures collatérales. Des séquelles invisibles laissées par l'empreinte des vaines batailles. Rebelle je suis. Engagé, certainement. Embrigadé pour le casse-pipe des nantis, sûrement pas.