Paul Desmond et le côté féminin du monde
Il aimait brûler les cigarettes par les deux bouts. Il aimait le scotch Dewars avec une ardeur juvénile, et puis rentrer chez soi de travers, au petit matin, se
réveiller au milieu de l'après-midi et chercher à tâtons ses lunettes à monture d'écaille, et contempler sa gueule de bois dans le miroir de la salle de bains, avec le sentiment du devoir accompli. Il aimait à l'extrême tuer le temps avec douceur. Mourir sans impatience. Discuter à perte de vue. Parler littérature, poèmes, ballets, cinéma, comédie.
Mais, par-dessus tout, il aimait les femmes. Exalter le côté féminin du monde était sa mission sur la terre. Il composait des airs pour qu'on ait - prétendait-il - l'impression de voir Audrey Hepburn pénétrer dans la pièce. Petites amies ? Non : brèves rencontres... L'une chassait l'autre. Souvent même, il en courtisait de front plusieurs. Mais courir plusieurs lièvres à la fois est le moyen rêvé de n'en attraper aucun. Cet homme n'aura tant aimé la chasse que pour le mélancolique réconfort de rentrer absolument bredouille. Elles étaient sa fumée sans feu. Et sa musique racontait ce prodige, cette dissipation chatoyante, cette
infécondité splendide. A.G.