Chers imposteurs
Dans aucun pays le substantif "intellectuel" n'a la légitimité, la résonance que nous lui donnons. Or, la France n'a plus guère d'intellectuels depuis la disparition de Sartre, Mauriac, Camus, Malraux et quelques autres. Nous nous trouvons dans une situation aussi dérangeante qu'inédite : notre intelligentsia est aujourd'hui dominée par d'étranges pontifes qui plastronnent dans les médias et dont nous ne savons plus s'il faut les identifier au monde du show-biz ou à celui de la star academy.
Cet affaissement du débat d'idées se déploie sur trois fronts. D'abord, la disparition de la critique littéraire dans les médias, compensée par le triomphe de la dithyrambe. Ensuite, le développement exponentiel de la littérature dite de "vécu". Ecrire son "vécu", avec toute la charge psychanalytique que contient ce mot, est devenu un sport national.
Enfin, la décomposition intellectuelle dont nous sommes les spectateurs. J'ai choisi trois exemples qui me paraissent emblématiques : ceux de Philippe Sollers, de Bernard-Henri Lévy et de Michel Onfray. Je les connais depuis, si j'ose dire, qu'ils existent. Leur exceptionnelle médiatisation n'est pas, évidemment, le fruit du hasard. En fait, ils ont bâti leur réputation - avec la connivence servile des médias - en s'appuyant sur deux fondements sommaires, la posture et l'imposture.
L'objet de cet essai est, d'une part, de démonter les mécanismes de cette posture et de cette imposture, d'autre part, de replacer une telle évolution dans le cadre de notre vie démocratique. Alors que depuis le XVIIIème siècle jusqu'aux années 70 la galaxie de l'intelligentsia française a été unique par son ampleur et ses qualités, elle est désormais moribonde. Pourquoi, comment en sommes-nous arrivés là ? C'est l'échec ou l'impuissance de toute une génération.