Mikhaïl Boulgakov
Dès La Garde blanche, qui raconte la chute de Kiev, le 14 décembre 1918, Boulgakov assigne à la littérature la tâche de maintenir envers et contre tout la cohésion d'un univers menacé par le cataclysme de la révolutïon. Telle sera, à partir de La Vie de monsieur de Molière et du Roman théâtral, la vocation de ses héros, écrivains maudits, victimes d'un pouvoir implacable. Parcourue par des airs d'opéras, émaillée de réminiscences littéraires, graves ou parodiques, animée par la magie du théâtre, l'oeuvre romanesque de Boulgakov est nourrie d'une longue tradition, à commencer par celle de Hoffmann et de Gogol, ses grands maîtres. Comme ces bâtisseurs qui réutilisaient les pierres de temples détruits, Boulgakov construit, avec des fragments de l'ancienne culture, un édifice original, où se côtoient créateurs et tyrans, vampires et bureaucrates, personnages bibliques et poètes prolétariens, et où les fêtes de Versailles préfigurent le grand bal chez Satan. Le rêve, le fantastique, l'irrationnel sont là pour dire l'indicible oppression d'un pouvoir totalitaire, la sourde angoisse d'une violence aveugle que seule peut conjurer, dans un éclat de rire libérateur, la jubilation de l'écriture.