Les noces de Claudine
Cinquante mètres à parcourir, cinquante mètres connus par cœur : le mur du jardin du voisin où l'on va ramasser les escargots, le petit chemin où l'on jouait aux billes, et cette angoisse à chaque pas nouveau qui nous rapproche de l'endroit où la foule s'est amassée.
" Mon Dieu, pourvu que ce ne soit rien, elle nous attend peut-être sur le bord de la route, pâle d'émotion, son Solex disloqué non loin de là… Elle en sera quitte pour quelques recommandations supplémentaires de papa ! Et même si elle a une jambe cassée, on la lui plâtrera… " Sur la voiture des pompiers, tourne sans arrêt un feu orange lancinant.
" Mon Dieu, faites qu'elle n'ait rien de grave !… "
Les gens groupés ne parlent pas ou bien alors à demi-mot. J'en ai entendu dire, quand ils s'écartaient pour nous laisser passer : " C'est son frère !… " Et rien qu'au ton de leur voix, j'avais compris. Je ne voulais pas le croire, je ne le pouvais pas ! Elle était là, couchée sur la route mouillée qui, dans la nuit, à la lumière des réverbères et des autos marchant au pas, avait des reflets d'acier bleu violent. Elle ne bougeait pas.
Yves Viollier qualifie ce bref récit de " chronique ". Chronique intime et familiale, écho direct d'un drame. La mort accidentelle de sa sœur, Claudine, âgée de dix-huit ans, un soir de janvier 1972. La mère, le père, la grand-mère, les enfants(dont Yves, l'aîné), frappés dans leur chair… Les veillées, l'inhumation, dans la déroute des esprits et des cœurs. Yves Viollier raconte, pleure et prie avec les siens, fait revivre sa sœur. Avec une sobriété, une pudeur, une émotion exemplaires. Rien n'effacera, jamais, la mort de Claudine.