Menteurs amoureux
Parce qu'il est un recueil étonnamment personnel, Menteur amoureux éclaire de manière définitive l'oeuvre de celui qui a inspiré tant d'écrivains contemporains. Car il y a beaucoup de Richard Yates dans ces nouvelles parues en 1978 aux États-Unis et inédites en France.
En cheminant de la première à la dernière histoire, chaque lecteur peut assembler les motifs autobiographiques comme dans une mosaïque qui redessinerait – de manière délicieusement subjective – son itinéraire chahuté par les circonstances. Dans une ambiance d'après-guerre encore traumatique, le jeune soldat parachuté sur le vieux continent se souvient avoir éprouvé dans le combat tour à tour « fierté, terreur, fatigue et consternation » (« Une permission exceptionnelle »).
Sa seule consolation est d'avoir traversé l'Atlantique pour découvrir la France ou la Grande-Bretagne et d'échapper à un destin trop convenu ou à une mère omniprésente. Car, dans une époque qui chante la gloire du rêve américain, les questions d'ego taraudent chaque individu, et le couple, la famille sont autant d'obstacles à l'épanouissement et à l'affirmation de soi. Des enfants dans leurs jupes, les femmes décident de gagner leur indépendance (« Une fille unique en son genre »), de prendre des risques (« Relever le défi »), de vivre la bohème en espérant la reconnaissance sociale (« Oh Joseph, je suis si fatiguée »).
De terribles désillusions les guettent... Les hommes, quant à eux, se révèlent souvent pathétiques, avec leur refus d'admettre l'échec et leur embarrassants fantasmes de gloire (« Menteurs amoureux »), leurs espoirs vains de devenir la prochaine coqueluche d'Hollywood (« Et dire adieu à Sally »), leurs fanfaronnades sur leur besoin de partir à Paris pour écrire (« Bonjour chez toi »). Pour chacun des personnages, homme ou femme, l'alcool coule à flots, bien sûr, offrant une couverture floue au désoeuvrement et comme un arrière-goût de l'époque fitzgéraldienne.
D'une intensité et d'une cohérence époustouflantes, ces nouvelles offrent une expérience de lecture unique. Car, même dans les histoires les plus sombres de Richard Yates, il y a comme un état de grâce pour le lecteur à toucher d'aussi près une vérité crue, offerte et finalement libératrice.