Dans la gueule de la bête
Qu'est-ce qu'elle peut bien y comprendre, Annette, à ces histoires de grandes personnes, à ces rendez-vous secrets du mercredi après-midi, chaperonnée par des bonnes soeurs en cornette au regard doux et préoccupé ? Peut-être que si Annette ne s'appelait pas en réalité Hanna, peut-être que si elle n'était pas juive, il en irait différemment. La fillette pourrait voir ses parents autrement qu'en cachette, à l'abri des regards indiscrets. Ils viendraient lui rendre visite comme chaque semaine et l'emmèneraient avec eux, loin du couvent. Les parents d'Hanna doivent cependant se méfier. Liège a beau être relativement préservée des rigueurs des lois antijuives, eux aussi sont en sursis, épiés, traqués. Et si des catholiques de la bonne bourgeoisie de la ville s'évertuent à les protéger et à leur donner asile, un homme, informateur zélé de l'occupant allemand, les exilerait volontiers vers des cieux moins cléments. Il faut donc être sur ses gardes. D'autant que la trahison ne vient pas toujours du camp et pour les raisons que l'on croit. S'il y avait d'un côté les bons et de l'autre les méchants, les choses seraient beaucoup trop simples. Comment réagissent des gens ordinaires confrontés à une situation extraordinaire ? Quelle est la frontière entre le bien et le mal, entre un héros et un salaud ? Ne peut-on pas être les deux à la fois ? Armel Job nous précipite dans la gueule de la bête - ce for intérieur qui tient lieu de conscience à chacun de nous, où se révèlent toutes les nuances de l'âme humaine, sombre et généreuse, capable du meilleur comme du pire - et nous sème dans les rues de Liège, hérissées de chausse-trapes et de faux-semblants, théâtre de ce polar versatile jusqu'à la dernière ligne.