Le Chant des plaines
À Holt, petite ville des vastes plaines du Colorado, Tom Guthrie se trouve contraint d'élever seul ses deux fils, Ike et Bobby, dont la mère, en pleine dépression, se désintéresse. Ike et Bobby, neuf et dix ans, tentent d'instaurer un peu de chaleur humaine dans leur existence en se liant d'amitié avec Mme Stearns, une vieille femme plus seule encore qu'eux-mêmes. De l'autre côté de la ville, Victoria Roubideaux, une adolescente à demi indienne de dix-sept ans, découvre qu'elle est enceinte d'un garçon qu'elle connaît à peine. Sa mère la chasse sans préambule de leur maison, et Victoria se réfugie chez Maggie Jones, professeur au lycée où enseigne Guthrie. Harold et Raymond McPheron s'occupent d'une ferme à quelques kilomètres de la ville. Célibataires timides et rustres, ils sont inséparables depuis qu'ils ont perdu leurs parents, quelque cinquante ans plus tôt. Leurs contacts limités avec le monde extérieur s'effectuent par le biais de Maggie et de Guthrie, qui leur donnent un coup de main de temps à autre. Dans l'impossibilité d'héberger Victoria, Maggie a une idée simple qui, évidemment, soulève l'incrédulité : confier l'adolescente aux bons soins des deux vieux célibataires.
Harold est réticent, Raymond a déjà fait son choix : après tout, une adolescente enceinte et esseulée ne doit pas être si différente de la génisse inquiète et prête à mettre bas qu'ils gardent à l'étable. Quant à Victoria, affolée, elle se cache derrière le rideau de ses cheveux, mais accepte la proposition. Étrange trio, dont Haruf déroule avec humour la curieuse relation... On est, avec Le Chant des plaines, loin des dévastations de la passion, des élans tonitruants de l'être. Haruf s'attarde sur des événements banals : l'examen vétérinaire des vaches, l'autopsie d'un cheval ; il privilégie des personnages réservés jusqu'au maniérisme.
Puis il nous apparaît clairement que le laconisme de ces héros est le résultat d'une profonde timidité et d'une immense intensité émotionnelle. Pour ne pas devenir des êtres passifs englués dans le malheur, les personnages du Chant des plaines choisissent l'attention aux autres. Un système de valeurs si ineffable, si délicat, qu'il faut un immense talent de romancier pour le rendre.