Insoumis
Ils ont vécu à des époques différentes, fait face à des ennemis qui ne sont pas de même nature - et leurs réponses ne sont pas univoques. Tous, pourtant, ont renoncé au confort d'une vie tranquille au nom d'un amour intransigeant : celui des êtres humains, celui de la vérité. Ils ont refusé de se soumettre : à l'agresseur venu du dehors, à leurs démons intérieurs aussi. Tous ont - parfois dès l'origine, parfois après une « conversion » religieuse ou laïque répudié l'usage de la violence dans leurs luttes.
Si ce livre d'histoires n'est pas seulement un livre d'histoire, c'est que chacun des « insoumis » dont Todorov retrace le destin a pour nous des résonances profondes, bien au-delà des circonstances que l'auteur relate et qui dépassent le caractère héroïque, voire tragique, de certains des personnages.
Soixante-dix ans après sa déportation et sa disparition à Auschwitz, la voix de la jeune Etty Hillesum nous émeut et nous inspire par sa volonté de partager le lot commun plutôt que de se sauver, elle, et d'affirmer la beauté du monde en toutes circonstances.
C'est par sa religion du vrai et du juste - et aussi par son inaltérable sens de l'humour, sa façon de considérer les humains non en « blocs » ethniques, nationaux, politiques, religieux, mais un par un - que Germaine Tillion, ethnologue, historienne, résistante, visiteuse de prison, militante contre la peine de mort et la torture, s'attache à notre coeur.
Entre les deux grands écrivains russes Boris Pasternak et Alexandre Soljenitsyne, un point commun de nationalité et un prix Nobel de littérature, mais que de différences de tempérament !
Pasternak humain trop humain, conscient de ses imperfections, se cachant dans une résistance intérieure presque invisible pour édifier le roman majeur qu'est Le Docteur Jivago ; Soljenitsyne, guerrier sans relâche, faisant de son oeuvre et de sa position publique une arme de combat contre le régime soviétique.
Libre au lecteur de Todorov, après lecture, de juger duquel il se sent le plus proche - affaire subjective car sous sa plume, il est impossible de ne pas les comprendre et les admirer tous les deux. Malgré les apparences premières, il y a plus de points communs entre ces deux figures de la lutte contre les discriminations raciales que sont Nelson Mandela et Malcolm X, qu'il s'agisse du combat contre l'apartheid en Afrique du Sud ou de la révolte contre le racisme aux États-Unis, dans leur jeunesse l'un comme l'autre n'ont pas hésité à prêcher la violence contre la violence afin de vaincre un ennemi sourd et aveugle. Mais l'un comme l'autre y ont renoncé - même si l'Américain a fini assassiné par ceux-là mêmes dont il s'était dissocié, tandis que Mandela, père de l'Afrique du Sud moderne, terminait son existence entouré d'une admiration universelle.
Avec l'exemple de l'historien israélien David Shulman, militant pacifique inlassable des droits des Palestiniens, Todorov n'hésite pas à aborder un conflit aux racines historiques complexes et aux résonances émotionnelles mondiales ; en achevant son livre sur la figure du lanceur d'alerte Edward Snowden, traître pour les uns, héros pour les autres, il ne fuit pas la controverse et nous entraîne au coeur d'un débat démocratique contemporain majeur : au nom de la protection contre le terrorisme, la menace sur les libertés individuelles que font peser des systèmes étatico-capitalistes de collection de milliards de données personnelles utilisables selon l'opportunité.