Le Che, à mort
Cinquante ans après sa mort, en octobre 1967, Che Guevara demeure une figure aussi mythifiée que controversée.
Marcela Iacub, dont la grand-mère avait un poster du Che accroché dans sa chambre, qu'elle embrassait chaque jour avant de se coucher et en se levant, a toujours été fascinée par la figure de son compatriote.
Ni plaidoyer ni réquisitoire, son livre vise à saisir la vérité de l'homme par-delà sa légende. Saint ou demon, criminel ou bienfaiteur de l'humanité ? En se fondant tout à la fois sur ses recherches et sur son intuition, voire sur son imagination, l'auteur brosse un portrait très personnel, lucide et sensible, du dernier héros révolutionnaire. « Les comportements du Che furent si étranges du point de vue de la rationalité ordinaire, souligne-t-elle, qu'il est impossible de les comprendre sans savoir ce qu'ils ont signifié pour lui. Ce que les biographies classiques n'arrivent toujours pas à saisir... ».
Marcela Iacub se fonde sur un fait déterminant, mais le plus souvent passé sous silence, pour décrypter la personnalité et le destin du Che : la falsification par sa mère de la date de naissance de son fils, venu au monde dans un climat familial hostile et ainsi dissocié d'une condition misérable pour être transfiguré en enfant parfait et idéal. La mère d'Ernesto le fit naître officiellement non le 14 mai mais un 14 juin, date de naissance d'un héros de la guerre d'Indépendance cubaine célébré pour sa bravoure.
À partir de ce double à la fois angoissant et galvanisant que le Che portait en lui, elle montre comment Guevara s'est construit non en tant qu'homme mais en tant que personnage. Un personnage à « l'étrange beauté » dont « le destin, écrit-elle, était de tuer ses ennemis et d'atteindre la gloire par le martyre au nom d'une cause supérieure, la révolution, fondée sur un rêve de pureté inatteignable, qui fit de lui le héros des vaincus ».
Marcela Iacub raconte l'itinéraire et les combats mais surtout l'invention par lui-même de celui qui nourrit très tôt le rêve d'« un destin grandiose » en se comparant à Don Quichotte. Elle analyse sans pathos ni préjugés les raisons de sa « folie meurtrière », une guerre totale pouvant seule à ses yeux permettre « la rédemption du genre humain ».
Le sort du Che, assassin et martyr, s'apparente pour Marcela Iacub à celui des jeunes djihadistes d'aujourd'hui invoquant leur idéal pour tuer et mourir. Mais ce qui distingue le leader cubain de ces kamikazes, agissant sur ordre, c'est le refus de se soumettre au destin et la volonté de n'obéir qu'à soi jusque dans le choix de sa propre destruction finale pour « survivre dans l'esprit des autres » en incarnant la figure du sacrifié qui s'est « immolé pour la libération des peuples opprimés ».